Il faudra qu’on se penche un jour sur la fascination que La Louisiane exerce sur les créateurs en tous genres et sur les scénaristes de séries en particulier.
La plus emblématique d’entre elles, Treme, vient de tirer sa révérence sur HBO après avoir magnifié durant quatre saisons les hauts et les bas de La Nouvelle-Orléans. En découvrant le générique de True Detective***, hanté par les hallucinations et les allégories, c’est à True Blood que l’on songe forcément – avant que la série d’Alan Ball ne vire au grand guignol. Dès les premières minutes, on est happé par une atmosphère si dense que l’on se dit que la région mérite assurément un nouveau détour.
En matière d’influences, le souvenir de The Killing s’impose ensuite pour le duo de détectives qui peinent à se supporter, mais aussi pour cette progression lente et accidentée vers la vérité d’une enquête aux ramifications multiples. Les préoccupations typiquement américaines sont bien sûr présentes avec l’ombre que The Following et Hannibal font planer (de très loin tout de même) sur toute traque de serial killers. Mais on perçoit bien vite que là n’est pas le noeud de l’histoire.
Car ces quelques points communs ne doivent en rien masquer les qualités propres de la création originale de Nic Pizzolato, elles sont seulement les preuves d’une filiation plus ou moins directe de True Detective à l’univers des polars les plus noirs. Une caractéristique qui lui vaut l’intérêt fébrile des sériephiles depuis son lancement le 12 janvier.
Alors que l’ultime épisode se profile à l’horizon (dimanche 9 mars sur HBO), on ne résiste pas à la tentation d’un premier inventaire.
Le premier atout incontestable de cette aventure est la prestation saisissante de Matthew McConaughey. Récemment récompensé aux Oscars, l’acteur prouve une fois encore ses qualités de caméléon. Capable de se fondre dans n’importe quel rôle avec une incroyable aisance, il brille de mille feux au cours de cette plongée en apnée au pays des red necks et des péquenauds. Il faut dire que le rôle de Rust Cohle, inspecteur à l’impressionnante érudition, lui offre du grain à moudre tant dans son versant fébrile et obsessionnel en 1995 que dans sa version vieil hippie alcoolo et philosophe en 2012. Pour un peu, on croirait que ce n’est pas le même homme.
Face à lui, on retrouve un Woody Harrelson tout aussi crédible en Américain moyen faussement modèle. L’inspecteur Marty Hart se croit bien sous tous rapports, alors qu’il est le prototype du macho borné et bas du front. Professant les idéaux bien-pensants de son milieu, il prend régulièrement la défense des ploucs de son coin face au Texan (McConaughey) bien trop verbeux et détaché de tout pour être foncièrement honnête.
Dans True Detective, le récit se dédouble non seulement en fonction du point de vue de chacun de ces hommes mais aussi parce que la narration suit deux lignes du temps bien distinctes. Le présent (2012) où chacun des partenaires est interrogé séparément sur une vieille affaire qui semble devoir ressurgir aujourd’hui et le passé (1995) où, les faits les plus saillants de l’affaire Dory Lange – du nom de cette jeune fille retrouvée morte, mutilée et coiffée de bois de cerf au pied d’un arbre – ont scellé presque à jamais le destin des deux inspecteurs.
Hier comme aujourd’hui, leurs points de vue divergents sur l’affaire sautent au yeux de tous les observateurs. C’est la force de cette opposition et la richesse de leurs personnalités qui offrent le plus de chair à l’intrigue de True Detective. Car les deux hommes, au-delà de leurs désaccords et de leur fieffée personnalité, ont formé un duo atypique, mais extrêmement fort et soudé. Un classique de la série policière, me direz-vous… Classique ? Pas vraiment, il suffit de quelques minutes pour en prendre conscience.
Avec son discours érudit et proche du nihilisme, Rust Cohle, alias « le percepteur », ne ressemble en effet à personne d’autre. Les années passant et son penchant pour l’alcool devenu persistant, il s’est transformé en vieil hippie à la conscience trouble, une transformation – on l’a dit – vraiment saisissante. Ce rôle fonde à lui seul la particularité de la série.
Ce caractère atypique est peut-être dû aux conditions d’apparition de la série. Fait suffisamment rare pour être mentionné, ce polar a en effet été écrit selon la méthode européenne: une intrigue, un seul auteur. Dans le cas présent, il s’agit de Nic Pizzolatto, écrivain de 38 ans, originaire de La Louisiane, dont le premier roman, « Galveston », a été publié en 2010.
Même constat du côté de la réalisation où un seul nom apparaît au générique: celui de Cary Fukunaga, un peintre ès atmosphères qui a le sens du paysage et la science du plan-séquence chevillée au corps (cf. le final de l’épisode 4). Preuves qu’en terme de narration, il maîtrise parfaitement son sujet. Il faut dire que le bayou est aussi diablement photogénique qu’inquiétant. Des qualités auxquels Fukunaga rend grâce avec une incroyable fluidité cinématographique.
Reste donc à espérer que l’issue de la traque du Yellow King («King in Yellow») sera à la hauteur des espoirs légitimes fondés en elle… Sorte de cerise sur un gâteau déjà diablement appétissant.
10,9 millions de téléspectateurs en moyenne et une critique très élogieuse font de cette série, le grand succès de ce début d’année. On imagine donc bien toutes les raisons qu’HBO peut avoir de vouloir continuer à exploiter le filon.
Définie comme une anthologie criminelle, True Detective proposera une intrigue et un casting différents à chaque saison, celles-ci étant considérées comme des univers plus ou moins indépendants. Ce qui laisse encore plus de liberté pour imaginer une fin inattendue à cette 1ère saison…
KT
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