Malgré sa mèche blonde et son sourire figé, vous n’aurez aucune peine à reconnaître l’impassible Benedict Cumberbatch dans la mini-série Parade’s End**, proposée dès le 7 juin sur Arte. Il y campe un aristocrate psychorigide, extraordinairement lucide, sauf lorsqu’il s’agit de sa vie privée; un rôle qui lui va comme un gant.
Laissant de vieux principes guider sa destinée, Christopher Tietjens se refuse en effet à délaisser une femme inconstante et volage alors même que, dans l’ombre, une jeune suffragette a su toucher son coeur. Pressentant l’imminence de la Première guerre mondiale, l’excellent Benedict Cumberbatch donne chair à cet homme d’honneur pris dans la tourmente de l’Histoire.
Réputée intransposable, la saga littéraire de Ford Madox Ford a lutté pendant près de quatre ans avant de se laisser amadouer. Heureusement, le dompteur avait du métier: Tom Stoppard, 76 printemps, scénariste oscarisé pour son « Shakespeare in love » s’amuse encore de cette lutte épique. En résulte une série au long cours (6 épisodes de 45 minutes) livrant un entêtant parfum d’époque (la Première guerre mondiale).
Dans l’Angleterre de 1910, Stoppard décrit les destins croisés et opposés d’un aristocrate brillant (Christopher Tietjens) entravé par sa rigueur morale et sa bonne éducation, de la troublante croqueuse d’hommes (Sylvia Satterthwaite) qui vient se jeter dans ses bras, et de la charmante suffragette (Valentine Wannop) qui va ensuite croiser sa route et le troubler à jamais.
Incapable de rompre ses engagements, Christopher Tietjens se mure dans un silence aussi vain qu’exemplaire qu’il estime être son devoir. Formidable étude de personnages, Parade’s End donne ainsi à voir les extrémités auxquelles l’amour impossible, ou non partagé, peut pousser.
Si les nombreuses cassures de rythme et ellipses temporelles nuisent à l’homogénéité de l’ensemble, cette saga parvient à dépeindre assez subtilement le basculement d’une époque (début du XXe siècle).
Adossés sur fond de crise européenne et de Première guerre mondiale, ces trois destins dessinent en effet les bouleversements majeurs auxquels toute la société a dû faire face en dix ans à peine (1910-1919). Une peinture des transformations sociales et des moeurs qui fait forcément songer à la tranche d’Histoire retracée par la série multiprimée Downton Abbey.
Si elle ne possède ni la richesse de casting et de décors, ni la minutie de la description sociale de son aînée, c’est par la finesse de ses personnages principaux que Parade’s End se distingue. Parvenant à rendre deux personnalités, si différentes, pareillement attachantes.
Benedict Cumberbatch est saisissant de réalisme et, en même temps, incroyablement touchant en aristocrate aveuglément accroché à ses principes et à ses chimères. Si on l’a aimé en Sherlock Holmes (la série de Steven Moffat), rajeuni et bondissant, on ressort doublement impressionné par sa prestation tout en finesse et en rigidité: un mélange détonant.
Sa partenaire, Rebecca Hall, déjà repérée par Woody Allen (« Vicky Cristina Barcelona ») offre le visage subtil d’une femme à la fois capricieuse, exigeante et oisive, vivant dans un rapport de séduction permanent. Eternelle insatisfaite, Sylvia travaille, de ce fait, à sa propre perte. Une belle révélation dans un rôle tout en nuances.
Enfin, la jeune Adelaide Clemens (également à l’affiche de Rectify) est parfaite en jeune fille pleine de rêves et de fougue, coincée entre élans politiques et féministes, conflits moraux et espoirs juvéniles. C’est à travers ces trois acteurs talentueux, et quelques décors riches en atmosphères, que la magie de Parade’s End opère.
Moins romanesque que Downton Abbey, et assurément plus exigeante, Parade’s End charrie aussi un léger parfum de Jane Austen avec ses amours contrariées par de trop grands et trop vieux principes.
Si l’on ajoute à cela que cette mini-série, portée conjointement par la BBC et HBO, a été en partie tournée en Belgique – à la Côte, en Wallonie et à Bruxelles – vous serez forcés de reconnaître qu’elle a vraiment tout pour intriguer ou pour plaire.
KT
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