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series addicts 2.jpgLa trentaine affirmée, Olivier Joyard (photo plus bas) est critique cinéma et séries aux « Inrockuptibles ». Il est aussi le réalisateur de deux documentaires emballants sur l’univers des séries.
Dimanche à 17h30, « Series addicts », le plus récent d’entre eux sera projeté à Bozar, dans le cadre du tout premier Festival bruxellois consacré au genre: « Are you series? » *.
Alors qu’il s’apprête à présenter son film et à répondre au public bruxellois, nous l’avons interrogé en marge du Festival Séries Mania à Paris sur ce lent basculement qui l’a mené, comme tant d’autres, de la cinéphilie à la sériephilie.

« Mon parcours suit l’évolution culturelle des 15 dernières années, en fait. J’ai commencé à travailler comme critique aux ‘Cahiers du cinéma’ en 1996. J’étais cinéphile et passionné. Au fil des années, je me suis rendu compte que je regardais de plus en plus de séries. Le grand changement est intervenu à la fin des années 90. Jusque-là, personne ne regardait sérieusement ces fictions imaginées pour un public restreint (femmes au foyer, ados) ou vieillissant. Mais avec HBO sont arrivées les grandes séries d’auteur : ‘Oz’, ‘Sex and the City’, ‘Les Soprano’, ‘The Wire’. Un univers dans lequel je me suis plongé. »

* Renseignements grâce au lien ci-dessous 

Parce que ces séries en disaient long sur l’Amérique et ses troubles…
Oui, on a commencé à écrire de plus en plus sur ces nouveaux lieux d’expression, même si la vieille garde grinchait. Pourtant, aujourd’hui, le cinéma US qu’on aime, on le trouve plus facilement dans les séries qui ont le profil du cinéma indépendant des débuts.
Je me souviens du premier numéro spécial que les « Cahiers » ont consacré au phénomène : c’était en 2003 et on avait mis « 24h chrono » en une. C’était inattendu et mal perçu par une partie de notre public et quelques gardiens du temple. Mais on a eu plein de retours positifs aussi car, objectivement, on était en plein âge d’or des séries.

Donc le ver était dans le fruit…
Oui. Collectivement, il y a tout une génération de jeunes critiques de cinéma qui se sont éveillés aux séries. Mais on a été virés juste après parce que même si il n’y avait pas que cette raison, cette passion nous a valu beaucoup d’inimitiés. Les séries sont devenues un peu un combat pour moi. Car je me suis toujours senti fidèle à l’histoire du cinéma et notamment à celle de la Nouvelle vague. Or, en 1950 aussi, ils se faisaient descendre à cause des films qu’ils défendaient. J’y vois la continuité d’un geste critique. Aujourd’hui, avec le recul, cette polémique semble stérile car de plus en plus d’œuvres voyagent entre les deux univers et sont d’ailleurs montrées dans des festivals de cinéma comme « Elephant » de Gus Van Sant, « Mildred Pierce » ou « Going Home » du Japonais Kore-Eda.

Et comme “Top of the Lake” de Jane Campion, prochainement présenté à Cannes…
Oui, aujourd’hui le snobisme, c’est de ne pas regarder de séries car c’est un phénomène qui traverse toutes les couches de la société.

Olivier Joyard.jpgEn 2004, vous décidez de réaliser un documentaire sur le sujet avec Loïc Prigent.
Nous voulions vérifier si notre intuition sur le phénomène était juste. En pointant l’audace des nouvelles séries face au formatage de plus en plus répandu de nombreux films. Nous avons rencontré de nombreux scénaristes et des pontes de HBO. Nous avons aussi assisté à une séance de travail sur la série « The Shield ». C’est un documentaire sur l’émergence des séries comme faits culturels majeurs et une comparaison avec le cinéma. Jusqu’alors j’étais critique, je suis devenu journaliste en réalisant ce documentaire qui est un reportage amélioré avec beaucoup d’interviews, d’extraits, de témoignages.

Pourquoi avoir choisi de faire un film plutôt qu’un livre ?
Cela me semblait plus inventif de faire cela à la télévision. Et puis, j’avais la volonté d’apporter la preuve par l’image. De prouver aux gens qu’il n’y avait pas que moi qui constatais le phénomène.
Dans le deuxième film, il ne s’agit plus de prouver mais de voir les nouveaux contours de cette addiction mondiale aux séries. Montrer le public, la tribu qui s’est constituée au fil des années, et le côté addictif du phénomène. J’ai donc élargi le panel des intervenants aux écrivains, sociologues, journalistes, etc. Et puis je voulais aussi qu’on puisse voir le côté créatif de cet univers. Voir le travail des scénaristes et des studios. Ça m’a fait plaisir de constater qu’on n’était pas des illuminés, lorsqu’on a pointé ce phénomène il y a treize ans. Car cette émergence reste l’un des faits culturels majeurs des années 2000.

Et en 2013, quel est le fait marquant ?
Après les années 97 à 2007 où on a assisté à un changement esthétique majeur, on découvre de nouvelles pratiques, avec le passage à l’ère numérique. Ce qui est impressionnant, c’est de constater à quel point les séries sont adaptées à tous les modes de visionnement. Elles continuent à nous parler de nous-mêmes et des changements de notre société. Ce n’est pas un genre figé. Et l’expérience des nouveaux arrivants comme Netflix casse complètement le modèle de diffusion traditionnel (en mettant à disposition les 13 épisodes de la saison, en une seule livraison, NdlR).
Il y a un mouvement énorme du Nord de l’Europe même si les Etats-Unis restent le pilier produisant le plus des séries. Aujourd’hui, les sources se diversifient : Australie, Pologne, Japon. Cette soif de découverte est ce qui caractérise les sériephiles, comme les cinéphiles du début Avant, les séries autres qu’américaines et britanniques n’étaient pas à la hauteur. Aujourd’hui, on voit de très bonnes séries partout ailleurs.
Karin Tshidimba, à Paris