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Audrey Fouché scénariste.jpgFormée aux USA par Tom Fontana, après sa sortie de la Fémis, Audrey Fouché travaille aujourd’hui à Paris, notamment sur la prochaine série pour Netflix, baptisée Osmosis. De retour en France, elle rêve d’adapter le modèle US au système français, mais souvent cela coince. On a discuté avec elle des différences entre les deux systèmes. Retour sur un parcours éclairant des Borgia en passant par Les Revenants.

Après quatre ans de formation en tant que réalisatrice à la Fémis qui était encore une école «purement cinéma» à ce moment-là, Audrey Fouché fait un stage sur la série Reporters de Capa « parce que cela m’intéressait. Je me souviens: on m’avait dit : attention, tu ne pourras plus jamais faire de cinéma. Tu vas gagner de l’argent à écrire des choses honteuses », se souvient-elle, hilare.

A l’époque, Audrey Fouché a envie d’écrire un long métrage et de le tourner. Coup de chance, elle rencontre un producteur via son jury de fin d’étude à la Fémis.


Une organisation millimétrée


“Dès que mon long métrage a été fini, j’ai reçu une proposition via Canal d’aller me former auprès de Tom Fontana pendant un an sur la série
Borgia. Tout m’est tombé dessus, en fait. Canal avait fait le constat que les Français n’étaient pas suffisamment formés. Il fallait pouvoir écrire en anglais. J’ai envoyé un scénario et Tom Fontana m’a choisie. Si la Fémis propose une formation spéciale série aujourd’hui, c’est symptomatique de ce changement de mentalité: les séries sont considérées comme un vrai débouché, ce n’est plus honteux d’en créer” souligne la scénariste.

Quant à son expérience américaine, elle ne l’a pas regrettée…

Tom Fontana Borgia.jpg“C’était super. J’étais stagiaire, Tom Fontana m’a fait travailler sur des scènes puis il m’a fait écrire un épisode entier. J’ai été sur le tournage puis en montage et j’ai travaillé en tant que staff writer (responsable d’équipe), j’ai vraiment bossé à toutes les étapes d’une ‘writing room’ américaine. C’est comme une armée, très organisé, très hiérarchisé. Si vous êtes bons, vous êtes d’office promu l’année suivante. C’est formidable car cela permet d’avoir une équipe formée à votre type d’écriture et qui connaît tous les rouages de la fabrication de la série, c’est malin. C’est ce qui nous manque en France parce que quand on dispose de ce modèle, on est beaucoup plus rapides, on a une vraie force de frappe. Quand on veut se lancer dans le showrunning, c’est important de connaître tous les aspects du processus de création. C’est ce qui fait que l’écriture prend en compte les aspects techniques, créatifs et financiers du métier.”


Deux systèmes diamétralement opposés


A son retour en France, elle déchante… “Un peu, car j’ai tout de suite connu ce modèle que j’ai beaucoup aimé. C’est compliqué parce que l’auteur en France n’est pas considéré comme aux Etats-Unis. Ici, le réalisateur reste toujours le patron, au final. Or j’ai été formée à un système qui fonctionne à l’opposé.”

Audrey Fouché tournage.jpgHeureusement, Audrey Fouché (à gauche sur la photo) a très vite travaillé sur la série Les Revenants “où Fabrice Gobert était à la fois scénariste et créateur donc il avait ce statut de showrunner. Le leurre, c’est que je ne pouvais pas importer, seule, le système américain que j’avais connu puisque par définition, il faut être plusieurs pour créer une ‘writing room’. Et puis il y a des logiques (droit d’auteur versus copyright) et des salaires très différents”.

“On tire souvent à boulets rouges sur les séries françaises mais en France, ce travail est beaucoup moins bien payé. Vous ne pouvez pas bloquer des gens six mois sur un projet avec un budget écriture qui représente 1 % du budget global. Donc les scénaristes travaillent sur de nombreux projets en parallèle alors qu’aux États-Unis, ils sont concentrés sur un seul projet pendant des mois. Ce n’est pas du tout le même niveau d’implication. Ici, on travaille chez soi ou dans des cafés… C’est donc aussi lié aux conditions de travail. Entre les USA et ici, c’est le jour et la nuit.”

« Il faudrait accueillir davantage de scénaristes juniors »

De plus en plus de chaînes françaises sont conscientes de ces difficultés… « Pourtant, il y a peu d’équipes qui travaillent de cette façon, à part Engrenages et le Bureau des légendes » et puis des soaps quotidiens comme « Plus belle la vie » et « Demain nous appartient ».

IMG_1876.JPG« Il faut vraiment un investissement dans le temps. Cela ne s’improvise pas. Il faudrait que chaque writing room accueille des juniors et fasse en sorte qu’ils évoluent. Pour qu’on ait de plus en plus de gens qui ont l’habitude de travailler ensemble. Dans l’équipe des Borgia, le n°2 de Tom Fontana avait commencé comme stagiaire, cela faisait 7 ans qu’il travaillait pour lui… C’est compliqué de créer cet esprit d’équipe alors que chaque série est comme un prototype. Engrenages et Dix pour cent fonctionnent différemment. Trop souvent, les auteurs ne se connaissent pas avant de démarrer un projet. Mais on voit bien que pour avoir une meilleure saisonnalité, il faut en passer par ce modèle-là », souligne Audrey Fouché, tout en regrettant que pour la série Osmosis, en cours d’écriture ce ne soit pas encore le cas…

Entretien réalisé lors du festival CanneSéries où Audrey Fouché (veste bleue sur la photo) était membre du jury international,
Karin Tshidimba