Le mouvement est au cœur de tous ses films qu’il s’agisse d’arpenter les villes ou les champs, de danser ou de s’élever dans les airs. Rencontre à Lille avec un réalisateur passionné par la jeunesse européenne qu’il décrit désormais aussi en série. A voir sur Prime Video dès ce vendredi

Paris, Londres, Barcelone… L’idée européenne est ancrée au cœur du cinéma multiple et protéiforme de Cédric Klapisch, rendu célèbre par sa trilogie ouverte en 2002 avec L’Auberge espagnole. Rien d’étonnant donc à ce qu’on le retrouve, vingt ans plus tard, sur le bord du Pirée avec Salade grecque, sa première série dont il est à la fois le coréalisateur et le coscénariste.

Athènes est en effet perçue à la fois comme “le berceau de la démocratie, mais aussi comme le symbole des faillites du système européen”, et le théâtre et le nœud de la crise migratoire actuelle.

L’héritage de ses trois films – L’Auberge espagnole (2002), Les Poupées russes (2005), Casse-tête chinois (2013) – s’inscrit en filigrane de la série. Bien sûr, c’est un fameux roman des origines, mais c’est surtout une tout autre histoire. “L’Auberge espagnole a été réalisée à Barcelone avant l’introduction de l’euro. Nous devions jongler dans nos budgets avec les francs et les pesetas”, rappelle Cédric Klapisch. Aujourd’hui, l’euro, le téléphone portable et l’extrême mobilité des travailleurs ont largement changé la donne. “Pour aborder ce nouveau visage de l’Europe, nous avons réuni une nouvelle troupe de jeunes comédiens européens et un groupe de scénaristes beaucoup plus jeunes que moi aussi. Ils avaient tous moins de 30 ans quand nous avons commencé à travailler sur la série”, explique le cinéaste.

« Salade grecque » pointe les nouveaux défis européens

”À l’époque des films, l’Europe représentait une idée plus excitante. Tout le monde surfait encore sur un élan insouciant et euphorique.” Un sentiment largement atténué par la crise de 2008, le Brexit, la guerre en Ukraine, le Covid-19 et la montée des leaders populistes. “Tout cela montre combien l’idée européenne est fragile et projette une nouvelle image bien plus sombre sur la jeunesse qui est, selon moi, plus militante que nous l’étions alors. La jeune génération est davantage consciente des défis devant lesquels nous nous trouvons aujourd’hui en tant que société.”

Un nécessaire rappel auquel s’attelle la série, nettement plus politique que ne l’étaient les films. Cette préoccupation s’est marquée dès le casting : “entendre ce que des jeunes Suédois, Croates et Grecs pensent de l’Europe a ajouté une dimension supplémentaire à ce qu’on avait prévu de raconter” souligne Cédric Klapisch.

“C’est une jeunesse moins insouciante et plus engagée”, affirme le cinéaste. Même si l’engagement recouvre, évidemment, différentes formes que l’on découvre à travers les yeux des enfants de Xavier (Romain Duris) et Wendy (Kelly Reilly), deux des personnages découverts dans L’Auberge espagnole. Leur fils Tom (Aliocha Schneider) est un jeune start-uppeur qui veut réussir dans la green economy, tandis que sa sœur Mia (Megan Northam), activiste pure et dure, préfère “faire de la politique plutôt que d’en parler”.

Tom et Mia, militants ou pas ?

La lutte contre la mondialisation, la pollution, l’exclusion et la violence étaient déjà bien présentes dans les combats menés par Martine (Audrey Tautou) à l’époque du deuxième film Les Poupées russes. Ce versant-là de l’histoire est pleinement assumé et repris par Mia, très investie dans l’accueil des réfugiés en Grèce. Quant à Tom, il a gardé en lui les traces de l’étudiant en économie un peu déconnecté du réel et à côté de ses pompes qu’était déjà Xavier, son père, joué par Romain Duris.

Autour d’eux s’égaie une bande de jeunes également plus engagés que ne l’étaient leurs aînés. Pour donner naissance à ces profils, les scénaristes ont multiplié les rencontres et les interviews. Une enquête vaste et patiente qui correspond à la façon de travailler de Cédric Klapisch sur ses films. “Tout nouveau scénario commence par un profond travail d’enquête”, en se glissant dans les pas de ceux qu’il veut filmer. Le cinéaste est bien conscient que la remarque peut faire sourire lorsqu’on l’imagine enfilant une paire de chaussons pour son long métrage En corps ou des bottes de vigneron pour le film Ce qui nous lie. À défaut de pouvoir revivre sa jeunesse européenne, il a donc résolu de lui donner la parole dès ce vendredi 14 avril sur Prime Video…

Xavier ou l’autre itinéraire d’un enfant gâté

Le tandem Tom-Mia de Salade grecque permet de dynamiter le point de vue unique et très masculin de la trilogie de Klapisch, car à l’égocentrisme et à l’insouciance de Tom répondent l’altruisme et l’implication de Mia, ce qui éloigne la série des rives très autocentrées de la saga d’un éternel indécis lancée, en 2002, avec le premier volet : L’Auberge espagnole.

Le personnage de Xavier (Romain Duris) s’est souvent montré désagréable et méprisant, jugeant les autres avec désinvolture ou cruauté, tout en manquant singulièrement de lucidité et de recul face à ses propres échecs ou turpitudes. Au terme de ses multiples voyages, il apparaissait toutefois mûri et plus en paix avec son passé, notamment familial, dans Casse-tête chinois qui clôt la trilogie.

La série Salade grecque offre la possibilité de poursuivre ce chemin de vie en éclairant les difficultés rencontrées par les contemporains de ses deux enfants, Tom et Mia, et leurs colocataires.

La somme de toutes ses envies

Réalisateur, scénariste et producteur français, Cédric Klapisch est reconnu pour ses films générationnels, comme Le Péril Jeune, mais aussi pour sa trilogie européenne ou son exploration des métiers, du sport et des corps. Autant de courts et de longs métrages nommés de nombreuses fois aux César. Il a aussi réalisé les premiers épisodes de la série Dix Pour Cent (2015) qui chante son amour du milieu du cinéma. Cette fois, il revient sur le petit écran avec Salade grecque, suite sérielle de sa célèbre trilogie lancée par L’Auberge espagnole en 2002. Un projet partagé avec les réalisateurs Lola Doillon et Antoine Garceau, un tandem déjà à l’œuvre lors de la première saison de Dix pour Cent, série écrite principalement par Fanny Herrero.

Karin Tshidimba