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Hagai Levi revisite les Scènes de la vie conjugale imaginées par Ingmar Bergman dans les années 70. Les acteurs Jessica Chastain et Oscar Isaac y transcendent les époux déchirés. La série, véritable bijou, est visible dès ce jeudi à 20h30 sur Be1 et sur OCS en France.

« Cette histoire de couple, c’était ma bible. J’avais besoin d’une bonne raison pour en faire l’adaptation. Lorsque j’ai eu l’idée de l’inversion des genres entre le mari et la femme, j’ai su que ça pourrait fonctionner, cela rendait automatiquement la série plus moderne, tout en restant loyal à l’œuvre de Bergman. »

Hagai Levi se souvient parfaitement de sa découverte de Scènes de la vie conjugale. « J’étais choqué, je suis revenu chaque semaine au ciné-club pour voir la suite. C’était de l’art. » Un « choc » qui explique son choix d’étude – la psychologie – bien avant qu’il ne se mette à créer des séries. Pour lui, l’existence de Scènes de la vie conjugale était « la preuve que son projet BeTipul (In Treatment) pouvait fonctionner, alors que tout le monde pensait le contraire. Le film et la série de Bergman ont structuré toutes mes créations », dit-il.

Son projet d’adaptation est né d’une rencontre déterminante. « J’étais en tournée de presse en Suède et j’expliquais comment Bergman m’avait inspiré pour centrer In Treatment sur le dialogue, la parole… Son fils a entendu ce que je disais, il m’a contacté. Sa confiance en moi était la chose la plus incroyable que je puisse imaginer. » Une confiance doublée de la liberté créatrice offerte par HBO : « la plus grande que l’on puisse imaginer. HBO est un lieu incomparable ! Ils vous disent : ‘vous êtes un artiste et nous soutenons votre vision’. En même temps, ils vous donnent beaucoup de notes de lecture, ce qui est très utile et qui montre qu’ils sont impliqués dans votre projet », souligne le scénariste enthousiaste.

L’indispensable empathie pour les personnages

Il n’a pourtant pas été facile pour le célèbre créateur israélien de trouver sa trajectoire dans l’œuvre. « J’ai fait d’Oscar Isaac un personnage proche de moi – juif, ex-religieux… – tout en restant universel. C’est un acte de survie quand vous devez travailler dans une culture et un pays qui ne sont pas les vôtres. En le rendant cérébral et sexy, je pouvais mieux me projeter, surtout lorsque Oscar a pris le rôle », plaisante-t-il. « Un des problèmes était que je détestais ce type. Bergman aussi sûrement. Je ne savais pas quoi faire avec ce couple, cette femme si dépendante de son mari. Comment la décrire aujourd’hui ? En changeant les rôles, je la comprenais mieux. Et puis, je voulais être sûr que l’empathie puisse aller vers chaque personnage. »

Cette question me taraude: comment l’amour s’en va et à quel point, c’est douloureux

C’était aussi la première fois qu’Hagai Levi filmait seul toute la série dans la continuité. « Je ne pouvais pas abandonner les acteurs, et puis ils préfèrent travailler avec un seul interlocuteur », confie-t-il souriant.

In Treatment, Our Boys, The Affair : les séries d’Hagai Levi ne naissent généralement pas d’une histoire mais d’une question qui le taraude. « Un thème que je veux explorer, car je perçois qu’il est plus complexe que ce qu’on en pense« , précise le scénariste et réalisateur. « En faisant cette série, j’ai compris que Bergman voulait parler du fait que l’institution du mariage peut tuer l’amour. On parle souvent du coût d’un mariage ; je voulais parler du coût humain d’un divorce et du mécanisme de séparation. On nous encourage à aller de l’avant, à nous réaliser, à (re)trouver la liberté, mais on ne nous dit pas comment gérer un amour qui finit. Cette question me taraude : comment l’amour s’en va, à quel point c’est douloureux. »

Explorer un thème et une époque

On pourrait penser que l’idée du mariage a perdu de sa force aujourd’hui. « Pourtant, elle reste largement majoritaire. Ce qui est fou, car il y a tant d’autres possibilités (union libre, …)… Même pour les jeunes – mon fils a 25 ans – le mariage reste le modèle dominant. Cela me semblait intéressant à explorer… », détaille le scénariste et réalisateur.

Ses Scenes from a Marriage****  n’affichent pas la même cruauté que chez Bergman. « L’histoire est déjà suffisamment cruelle, il n’y a pas besoin d’en rajouter. Il m’est impossible d’écrire sur quelque chose que je ne comprends pas. Même si je voulais écrire sur un meurtrier, il faudrait que je comprenne ses motivations. On voit beaucoup de séries américaines sur des personnes aux motivations tellement diaboliques que je ne ressens rien à leur égard. Pourquoi créer des personnages qui ne vivent aucun conflit moral ? Ce sont des psychopathes et je ne vois pas l’intérêt. Après deux épisodes de House of Cards , je suis parti prendre une douche et je ne suis jamais revenu. »

Jessica Chastain – Oscar Isaac : un couple hors pair

Le choix des comédiens était idéal à ses yeux. « Jessica Chastain était en tête de ma liste depuis des années. Elle a cette combinaison de détermination comme dans Take Shelter et de fragilité comme dans The Tree of Life qui est exactement ce que je cherchais. Et elle est passionnée… Oscar Isaac a ce côté très masculin ; même dans des situations névrotiques, il garde son charisme. Ils sont amis, ils étaient à Juilliard ensemble et leur confiance l’un dans l’autre était précieuse. Très vite, j’ai vu qu’ils étaient entrés dans leur personnage, il ne restait plus qu’à créer un environnement rassurant pour que ça ne gâche pas leur relation. Jessica était très émue, tendue. Il y a des scènes si dures entre eux qu’on jurerait être dans le film Qui a peur de Virginia Woolf« , confie-t-il.

« Bergman voulait dépeindre le mariage bourgeois et les règles tacites sur lesquelles il repose, alors que je voulais montrer un couple qui communique et s’épaule comme le fait une équipe. Chez Bergman, le divorce, c’est l’inconnu. Aujourd’hui, il apparaît souvent comme une option simple. Comment en parler alors que tout le monde connaît si bien le sujet ? C’était ça, le vrai défi. On ne parle pas assez du prix à payer (santé, etc.) pour se séparer », conclut Hagai Levi.

Sa mini-série, sombre et souvent déchirante, brille comme un diamant, révélant les multiples facettes de ce couple brillamment campé par un duo de comédiens habité par sa quête de vérité.

Entretien: Karin Tshidimba, à Lille