La série de Sam Levinson a été éreintée lors de sa présentation à Cannes. Sous prétexte d’en proposer une satire, son regard complaisant et sexiste sur les dérives de l’industrie musicale est pointé du doigt. Complaisant est bien le moins qu’on puisse dire… A voir sur Be tv

La mini-série, interdite aux moins de 16 ans, s’ouvre sur un gros plan du visage de Lily-Rose Depp, fille de Vanessa Paradis et de qui vous savez, minaudant devant un photographe dans un déshabillé de soie rouge.
Avec de tels géniteurs, la demoiselle est forcément attendue au tournant et le bruit causé par la série de Sam Levinson en est encore décuplé. The Idol a donc tout naturellement trouvé sa place sur les marches du Palais cannois lors du dernier festival. Mais le bad buzz critique qui a suivi sa projection a poussé HBO à différer l’envoi des épisodes aux journalistes traitant habituellement des séries. On connaît la technique qui consiste à ne permettre à la presse de voir un film ou une série que le jour de sa sortie, afin d’empêcher une nouvelle vague de critiques “peu élogieuses” de freiner l’enthousiasme du grand public. Dans le cas de The Idol, le terme est loin d’être galvaudé.

Dès les premières images, Jocelyne (Lily-Rose Depp, donc) icône pop pour ados, renvoie l’image d’une jeune fille “belle, vulnérable et torturée” (sic) mais son déshabillé de soie rouge laisse aussi apparaître un bracelet médical vissé à son poignet. “Comme si l’on fantasmait les troubles mentaux”, pointe, stupéfait, un membre de son staff créatif, ce dont les autres se réjouissent. L’idée de la campagne de pub est en effet d’attirer “l’attention” et peut-être même la “compassion” sur la jeune fille qui a perdu sa mère tout récemment et qui tente encore de s’en remettre.

Provoquer, disent-ils

Les producteurs de son nouveau disque ne s’en cachent pas : ils cherchent à toucher la jeune génération avec une image “sulfureuse et cool”. Parfaitement consciente de ce qu’on attend d’elle, la starlette multiplie les clichés sexy pour sa future pochette d’album, répondant à toutes les sollicitations du photographe et les précédant même de façon lascive.

Le coordinateur des scènes d’intimité qui se retrouve enfermé dans les toilettes au bout de huit minutes – parce qu’il voulait revoir la clause de nudité et permettre à Jocelyne d’y réfléchir pendant 48 h – cela envoie un message très clair pour le reste de la journée et du récit en général. Sous couvert d’affirmer son “droit à la provocation”, la série de Sam Levinson se révèle surtout extrêmement complaisante vis-à-vis d’une représentation très problématique de la femme et de la sexualité en général. Un reproche qui lui avait déjà en partie été adressé au sujet de sa précédente série Euphoria, mettant en scène, parfois jusqu’à la nausée, certaines dérives adolescentes.

Position de voyeur

Si le parallèle avec l’exploitation par l’industrie musicale de jeunes stars comme Britney Spears est d’emblée établi, le positionnement du réalisateur est sujet à caution. Au lieu de proposer au public d’être aux côtés de la jeune fille et de partager son point de vue, la série nous maintient le plus souvent dans la position de voyeur… et balaie du revers de la main toutes les réflexions récentes sur le sexisme dans le cinéma et dans la vie réelle instillées par le mouvement #MeToo.

Inutile de dire que la plastique de la demoiselle est observée sous toutes les coutures dans des scènes plus ou moins dénudées qui font clairement penser aux séquences sulfureuses ayant bâti la réputation de séries comme Game of Thrones, à leurs débuts, ou de films comme 50 Shades of Grey. Sauf que le milieu (l’industrie du disque) et l’époque (contemporaine) permettent des interactions bien plus explicites sous le prétexte fallacieux du “témoignage”… Mais le scénario ne tente jamais d’apporter le moindre éclairage, se contentant d’aligner fêtes, clips suggestifs et ébats transgressifs au fil des cinq épisodes…

Nourrir les fantasmes

Lors de sa rencontre avec Tedros (campé par le chanteur et producteur The Weeknd), patron de boîte de nuit, à l’aura glauque à souhait, la caméra se range invariablement du côté du prédateur, maintenant ainsi Jocelyne dans la position de l’objet de fantasmes, docile et soumise. Sous couvert de dénoncer la domination masculine, la série la met soigneusement en scène, en long, en large et en travers. On est toujours à la limite de l’agression. Jeux d’ombres et cadres travaillés n’empêchant pas la vulgarité et la vanité d’émerger…

La jeune star est aux prises avec une bande de vautours à la fois cyniques et abjects dont les moins gratinés ne sont certainement pas le représentant de Live Nation (organisateur de concerts) et la journaliste de Vanity Fair qui, sous couvert de la soutenir, veut absolument la faire parler de la photo de revenge porn qui a fuité sur les réseaux sociaux. De la même façon, le public est prisonnier de ce regard méprisant et vulgaire sur une jeune fille à peine remise d’une dépression qui veut à toute force séduire et être aimée.

Le fait que la chanteuse soit majeure et consentante est l’argument avancé par les créateurs à l’encontre de ceux qui tentent de leur faire remarquer que le public attend autre chose d’une série ou d’un film aujourd’hui… Fins stratèges et parfaits cyniques, ils comptent sur le fait que chacun va vouloir se faire sa propre opinion sur le sujet et que le (bad) buzz fera (forcément) le reste…

Karin Tshidimba

nb: La mini-série est disponible sur Be tv et en France sur le Pass Warner, au rythme d’un épisode par semaine.

mise à jour (02.09.2023): L’annulation du 6e et dernier épisode de la saison 1 était déjà un mauvais présage… HBO vient d’annoncer que la série « The Idol » de Sam Levinson n’aurait pas de saison 2, preuve qu’au petit jeu de la provoc, les réalisateurs ne sont pas toujours gagnants…