Le goût du réel mène à tout, même aux séries. La preuve par la journaliste Florence Aubenas qui s’est immergée avec délectation dans ce nouveau mode de narration multipliant les liaisons parfois dangereuses avec les faits divers. Alors que TF1 se repenche sur l’Affaire Gregory (Une Affaire française), on a parlé du phénomène avec la grande reporter au quotidien Le Monde, auteure du Quai de Ouistreham et de L’inconnu de la poste.

Aller où on ne vous attend pas… Si la journaliste Florence Aubenas analyse ce penchant, aujourd’hui, elle n’en était pas consciente, au départ. « Je me rends compte qu’une partie de ma famille était absolument déçue de mon choix de faire du journalisme de faits divers. Ils me disaient : tu fais les chiens écrasés, pourquoi tu ne fais pas de la critique littéraire après tes études de Lettres… Ils ne voyaient pas pourquoi je choisissais ce secteur loin de la culture. Mais je suis ravie de m’être laissée entraîner… »

Avouant détester la critique littéraire et « la critique tout court » à laquelle auraient pu la conduire ses premières études, on pouvait s’étonner de retrouver la grande reporter du journal Le Monde, au sein du jury Panorama de Séries Mania.

Séries: le lien avec le réel et les faits divers

« Il y a trois excellentes raisons à cela, avance-t-elle. Le goût des festivals : cette bulle qui se crée autour d’un but commun et qui fait qu’on a même du mal à en sortir et à suivre la marche du monde. On est tout entier polarisés autour des séries ou des films qu’on va voir, des livres à lire… J’aime beaucoup cette concentration sur un temps court vers un objectif culturel commun. Et puis, cela se passe dans le Nord, donc je ne vous fais pas de dessin : ça me ramène à Bruxelles (cf. ci-dessous). Avec frites et mayonnaise (sic) et ça, c’est toujours bien. (Elle éclate de rire) Et puis, je suis très intéressée, professionnellement et comme spectatrice, par le mode de récit des séries, cette manière de construire des histoires qui évolue encore. Comment on les construit épisode par épisode, comment on fabrique des histoires qui se tiennent, comment on ouvre des tiroirs et on en ferme d’autres. Cela me passionne d’autant plus que c’est un genre en plein essor, grisant… Certaines séries sont trop à suspense. Il y a les vedettes et les tocades du moment… C’est très intéressant à observer. J’aime la cuisine de l’écriture, du récit. Quand je dois écrire un reportage et que j’ai un peu de temps, je me demande toujours comment je vais le construire. C’est très important. La même information passe de façon très différente selon le mode de récit choisi. Avec les séries, on est dans ce laboratoire, c’est un milieu jeune, très enrichissant. »

Un univers dans lequel la journaliste est entrée via de séries inspirées de faits divers comme Soupçons, les dessous de l’affaire Wesphael qu’elle a bien aimée. Adolescente, Florence Aubenas lisait beaucoup de BD. « Elles tenaient, dans ma vie, la place que le rock avait pour d’autres. Je me battais dans les foires de BD pour obtenir des signatures, etc. C’était un milieu en plein boom. Je sens la même énergie dans les séries. Quand on m’a proposé de faire partie de ce jury, j’ai sauté sur l’occasion ! »

Aller où on ne vous attend pas. Un penchant qu’elle partage avec sa maman, arrivée en Belgique, « de façon très traditionnelle, comme cela se passait dans les années 60. Elle était la femme de quelqu’un nommé à l’étranger, qui arrivait dans un nouveau pays avec ses trois enfants. Et elle est parvenue à faire tout autre chose de sa vie de femme au foyer. Cela m’a beaucoup inspirée de voir comment elle a trouvé une voie qui n’était pas la sienne dans des mouvements féministes, dans le milieu du cinéma, etc. La façon dont elle a gagné sa place à chaque fois, cela a été inspirant », reconnaît-elle.

Journaliste et co-fondatrice de la revue féministe Les Cahiers du Grif, Jacqueline Aubenas a aussi été critique de cinéma et chargée de cours à l’Insas à Bruxelles. Si sa fille a suivi une autre voie, Florence Aubenas cultive comme sa maman le goût des histoires et du récit dont se sont emparés avec force les séries.

Karin Tshidimba, à Lille

nb: La journaliste Florence Aubenas est également revenue sur ses études de Lettres, son parcours journalistique, son goût pour le reportage et son attachement à la Belgique. Suite d’entretien à lire sur Lalibre.be