Très attendue, Marseille, la première série française produite par Netflix est lancée ce 5 mai sur le site de streaming.
Malgré de nombreuses bonnes volontés, le résultat déçoit avec ses allures de mauvais soap politique.
Retour sur ce scénario de naufrage pas du tout anticipé… après un tournage classé « Secret défense ». Souvenirs.

En raison d’une fusillade intervenue au cours de la nuit précédente, les déplacements vers le stade Vélodrome, lieu du tournage de ce matin du 10 novembre se sont encore complexifiés. Voilà qui ne va pas améliorer l’image de la cité phocéenne auprès de certains. Visite millimétrée, embargo draconien, équipe sous tension. Au moins, cette fois, personne n’a tenté de nous vendre l’histoire du tournage idyllique au cours duquel « toute l’équipe est devenue une grande famille. » Qu’à cela ne tienne, notre chauffeur se faufile au mieux et finit par nous déposer devant les portes de ce stade qui fait tant vibrer les admirateurs de l’OM. Un petit groupe d’entre eux arborent maillots et calicots pour se fondre dans la scène en cours de tournage.

Dan Franck, le scénariste, a fait le déplacement et répond volontiers aux questions des journalistes invités, contrairement à Gérard Depardieu qui, lui, a adressé à tout le monde une fin de non-recevoir. Sans réelle surprise.
De toutes façons, il n’est pas sûr que la conversation se serait révélée productive. Renfrogné et par moments visiblement excédé, l’acteur ne cesse de presser tout le monde pour « qu’on cesse de perdre du temps et qu’on avance ». La fin de tournage s’annonce, visiblement, comme un soulagement pour lui.

Marina et cité Félix Pyat

Dan Franck confesse qu’il connaissait mal Marseille, le choix est celui du producteur, Pascal Breton (Cinq soeurs, Sous le soleil). Le scénariste a donc passé « un temps infini dans les cités, à la mairie et dans les mosquées pour rencontrer un maximum de gens » et bâtir son histoire. En veillant bien à rester en lien, durant l’écriture, avec ses contacts à Félix Pyat, la cité la plus pauvre de France. Sa volonté : « dépasser le Marseille bashing et la tentation du ‘tous pourris’, en révélant cette scène politique et tragique formidable qu’est Marseille. Violence, immigration, magouilles et cités, la ville a une personnalité et une réputation incroyables. C’est cela qui m’intéressait. »

Il a suivi les conseils d’un de ses contacts et fait engager des jeunes de la cité comme figurants ou pour des petits boulots techniques, et tout s’est bien déroulé. Ce sont eux qui apparaissent hilares et détendus aux alentours du plateau.

Fidèle à la ligne de conduite adoptée sur l’une de ses précédentes séries Les hommes de l’ombre, Dan Franck imagine l’affrontement entre un homme (Gérard Depardieu) et son dauphin (Benoît Magimel). L’histoire d’une transmission qui tourne mal.
« Les batailles familiales sont toujours beaucoup plus intéressantes que les bagarres entre deux camps, souligne celui qui se dit passionné par la politique. Je veux montrer que les dérapages existent mais qu’il n’y a pas que cela et que par-dessus tout, il y a un amour immense de la ville. Cet amour-là est un véritable ciment entre les gens, qui n’existe pas à Paris. Ce qui m’intéresse, c’est cette réalité humaine, les côtés face et pile des gens, la beauté âpre des cités. »

Manque flagrant d’originalité

Malheureusement entre l’intention et la réalisation, il y a un pas qui n’a pas été franchi. Car si côté cadre, on n’est pas trompé sur la marchandise, avec de longs plans de coupe et moult vues aériennes permettant de toiser les plus belles vues du Vieux port, en revanche, on a vite fait le tour de la question. Là où nombre de séries semblent manquer de temps pour embrasser leurs thématiques et leurs personnages en profondeur, Marseille semble, au contraire, souvent errer sans but. Peinant même parfois à atteindre les 52 minutes par épisode.

On nous avait annoncé un affrontement entre un roi et son dauphin mais les dialogues sont répétitifs et parfois terriblement rabâchés. La déception est à la mesure des espoirs qu’avait fait naître l’annonce de cette première production française. Peut-être qu’une partie du dérapage doit être recherché dans la volonté de toucher un vaste public international.
« Je n’écris pas de la même façon pour Arte ou France Télévisions, admet Dan Franck, Netflix a un public tellement vaste qu’il est difficile à définir. C’est un tournage complexe », reconnaissait-il il y a six mois.

Une indigeste pièce montée

Boursouflée comme la grenouille de la fable, aussi digeste qu’une pièce montée pour mariage mégalomane, Marseille manque à la fois de fond et de conviction. La réalisation ne fait pas dans la dentelle avec une partition musicale soulignant lourdement les enjeux et les émotions. Côté dialogues, on enfile les perles et les clichés tandis que les gros plans soulignent… le manque.
Pourtant, au départ, le casting donnait envie d’y croire : Gérard Depardieu, Benoît Magimel, Géraldine Pailhas, Nadias Farès, Hippolyte Girardot…

Une chose reste incompréhensible: cette propension à inscrire au coeur de chaque épisode des résumés de ce qui vient de se dire entre deux personnages. Comme si le public avait le QI d’un bulot ou pour mieux masquer l’incapacité à créer une intrigue suffisamment dense… Comme tout cela s’avère rapidement soporifique, certains, décidés à aller jusqu’au bout, auront peut-être besoin de quelques piqûres de rappel.

N’y aurait-il rien à sauver dans cette histoire ?
Si: la beauté de certaines images et quelques scènes, trop rares, d’intimité. Les acteurs les plus jeunes sont aussi les moins malchanceux. Même si leurs histoires (à l’eau de rose) n’excluent pas les grosses ficelles. Vous l’aurez compris, tout cela reste laborieux surtout si l’on tient compte du temps et de l’argent investis.
Malgré la volonté, on est très loin d’un House of cards en terre de Pagnol et ce n’est pas cet essai manqué qui incitera d’autres réalisateurs et scénaristes à se lancer dans l’aventure avec Netflix.

KT

mise à jour (06/06): Incroyable mais vrai. Même décriée par la critique et moquée par une grande partie du public, la série Marseille aura droit à une saison 2. Reste à voir quels acteurs en feront partie…